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dimanche 9 août 2020

La Culture de l’exclusion est un Aveu D’impuissance et non de Force



Gaïdz Minassian

Et maintenant, la surveillance des militants Dachnaktsgans sur les réseaux sociaux… mais où va-t-on ?

Harout Kalaydjian, vieux routier du Dachnakisme, installé en Arménie depuis quelques années, après avoir sillonné le Liban et le Canada, a appris courant juillet 2020 qu’il était renvoyé du Dachnaktsoutioun, après une procédure disciplinaire d’une commission de résolutions des conflits, dépendante de l’Autorité suprême de la FRA d’Arménie.

Un de plus, direz-vous… Et pour quel motif ? Trois fois rien, avoir à partir d’une correspondance privée d’individus à individus, membres de la FRA ou non, transmis par Messenger des informations et des analyses déjà publiques remettant en question la ligne politique de la FRA en Arménie. Autrement dit, avoir « fowardé » des textes conduit à la porte de sortie, rien d’autre !

Alors que Chinois et Nord-Coréens dépensent des milliards de dollars pour contrôler les débats internes sur les réseaux sociaux sans y parvenir pour autant, la direction du parti Dachnaktsoutioun croit être en mesure d’y arriver en comptant sur l’esprit de discipline des militants. Mais c’est ériger un barrage de castors face un fleuve sorti de son lit. Il n’y a aucune digue pour empêcher les individus de s’exprimer, les opinions de circuler… Aucune. Et la FRA est mieux placée que les autres formations pour prendre la mesure de cette infamie de la police de la pensée.

La FRA est la première force politique arménienne dont les membres ont été persécutés pour délit d’opinion. De l’Empire ottoman à la Russie bolchevique, des régimes autoritaires arabo-musulmans au régime de Ter Petrossian, les militants de la FRA ont une longue expérience des politiques liberticides.

En fait, ce qui se passe actuellement à la FRA appelle plusieurs constats. D’abord l’absence de nuance dans la grille des sanctions. Infliger la même mesure – celle du bannissement – à Harout Kalaydjian et Arvan Vartanian, ancien député Dachnak, qui a publiquement affiché son désaccord avec son parti membre du gouvernement provisoire de Nikol Pachinyan, lors du vote de confiance au nouveau pouvoir à l’Assemblée nationale en 2018 durant la Révolution de velours, relève de la stupéfaction. L’un est renvoyé pour des motifs obscurs, l’autre fait preuve d’indiscipline devant des millions d’Arméniens dans la rue ou devant leur téléviseur, mais les deux se voient frappés de la même sanction disciplinaire.

Ensuite, l’incapacité de la direction Dachnak à résoudre la contestation qui gronde autrement que par la culture de l’exclusion. Dans les partis révolutionnaires, expérimentés par la clandestinité, les mesures disciplinaires sont certes fréquentes, mais élever au rang de principe, la culture de l’exclusion ne règle rien. Au contraire, elle exacerbe les tensions, amplifie les mécontentements et aggrave la crise globale interne qui règne depuis des années dans le parti. Autrement dit, l’exclusion n’est pas un aveu de force mais le constat d’un échec, d’une impuissance.

En outre, à l’époque de Christapor, la critique – y compris publique – était tolérée. On se souvient comment le fondateur de la FRA avait été violemment critiqué par son camarade Karekin Khajak dans la presse Dachnakstagane des Balkans.

Et pourtant, Christapor n’a point entamé une procédure d’exclusion à son encontre. Il a juste signalé à son détracteur qu’il renonçait désormais à travailler avec lui. Rien d’autre.

Quand Mikael Varandian a critiqué, dans la presse Dachnakstagan des années 1920, ces « Dachnakstagans à l’esprit étroit qui ont laissé partir Christapor au devant de la mort en 1905 », ni le Bureau mondial, ni moins le Congrès mondial n’ont mis en place une commission de résolution des conflits pour le sanctionner.

En 1933, lorsque Schavarch Missakian, ancien membre du Bureau mondial et rédacteur en chef de « Haratch », quotidien Dachnaktsagan en France, a critiqué la FRA pour avoir ordonné le meurtre de l’archevêque Léon Tourian aux Etats-Unis, il n’a pas été sanctionné par son parti.

Plus récemment, en 1991, lorsque Vahé Ochagan a publié dans « Asbarez », organe de la FRA en Californie, un article au vitriol contre la politique de la FRA en Arménie, il n’a point été sanctionné.  Où sont dès lors les Ochagan du XXIe siècle ? S’il y en a, soit ils restent silencieux, soit ils attendent que la maison s’écroule pour réagir. Or la maison s’écroule déjà et toute personne emmurée dans le silence n’a strictement rien à voir avec l’intellectuel Vahé Ochagan.

Enfin, comment ne pas faire le lien entre ces pratiques bolcheviques de la part d’individus nourris aux valeurs communistes et installés en Arménie post-soviétique qui n’ont de « Dachnaktsagans » que le nom, et les vieilles recettes du stalinisme ? Les dirigeants dachnaktsgans d’Arménie ont-ils repris à leur compte le reflexe des purges ? Ont-ils renoué avec les méthodes dictatoriales des révisionnistes Dachnaks comme Roupen Ter Minassian, principal artisan de la purge du mouvement « Markots » en France au tournant des années 1930 ?

En réalité, l’heure est grave et au lieu de poser sereinement sur la table les réels problèmes qui rongent la FRA, sa direction pratique la politique de l’autruche. La crise mais quelle crise ? L’hémorragie militante, mais quelle hémorragie ? L’absence de perspective, mais de quelle absence parle-t-on ? La maison Dachnaktsgan brûle, mais de quel incendie parle-t-on ? Hier comme aujourd’hui, toute volonté d’imposer une police de la pensée signifie faire régner la peur dans les rangs. Or, on ne dirige pas la FRA en diffusant la peur, mais la conviction ; on ne dirige pas la FRA en propageant la terreur mais les idées ; on ne dirige pas la FRA en adoptant des méthodes coercitives, mais des méthodes inclusives.

En réalité, la FRA fait aujourd’hui penser à un individu dont l’une des jambes (la FRA d’Arménie) est rongée par la gangrène. Les médecins et la famille ne savent pas quelle décision prendre pour soigner le patient tant le mal est profond. Ils sont face à un dilemme : soit la direction de la FRA coupe la jambe nécrosée du patient mais lui fait courir le risque de ne pas tenir le choc de l’opération ; soit la direction de la FRA renonce à l’amputation mais fait toujours courir au patient le risque de voir son corps totalement gangrené et donc de mourir. Alors, que faire ? Faut-il se résigner à constater que près d’un quart de l’histoire de la FRA rime avec échecs électoraux ou faut-il réagir pour empêcher l’extinction de cette belle idée qu’est le fédéralisme Christaporien ?

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