Arménie-UE : Une lutte de quinze ans contre l’ingérence russe et ses relais en diaspora
Quel avenir pour l’Arménie ? Un réel changement ou un statu quo ?
Par Raffy
Depuis 2009, la Russie et ses alliés ont régulièrement déployé des stratégies pour freiner les ambitions de l’Arménie de se rapprocher de l’Union européenne. En dépit des efforts soutenus d’Erevan pour diversifier ses relations internationales et s’engager sur la voie de l’intégration européenne, les pressions de Moscou sont restées constantes, utilisant des leviers économiques, géopolitiques et sécuritaires pour neutraliser ce rapprochement.
2009 : Diversion et manipulation en diaspora pour torpiller l’accord avec l’UE
L’année 2009 marque le début du Partenariat oriental, un programme de l’Union européenne visant à renforcer les liens avec plusieurs anciennes républiques soviétiques, dont l’Arménie. Erevan engage alors des négociations pour un Accord d’Association avec l’UE, incluant un Accord de Libre-Échange Approfondi et Complet (ALEAC), qui devait offrir au pays des opportunités économiques et une ouverture vers l’Europe.
Cependant, pour éviter que l’Arménie ne s’éloigne de son orbite, Moscou et ses relais ont mis en place une stratégie de diversion. Serzh Sarkissian, alors président, met en scène un rapprochement diplomatique avec la Turquie à travers les Accords de Zurich. Ces accords, signés en octobre 2009, visaient officiellement à normaliser les relations entre Erevan et Ankara. Mais en réalité, cette initiative avait un double objectif :
1. Créer un choc dans la diaspora arménienne en utilisant la question du génocide comme un levier émotionnel pour détourner l’attention du véritable enjeu, à savoir l’accord de libre-échange avec l’UE.
2. Mobiliser les groupes pro-russes en diaspora pour orchestrer une campagne de protestation massive, faisant passer Serzh Sarkissian pour un chef d’État sous pression, alors que cette manœuvre avait été planifiée en accord avec Moscou.
Dès octobre 2009, des manifestations éclatent à Paris et dans plusieurs capitales occidentales, orchestrées par des groupes proches du pouvoir arménien et liés à des réseaux pro-russes en diaspora. Ces groupes, loin d’être spontanés, avaient pour mission de focaliser la colère de la diaspora sur le rapprochement arméno-turc, occultant ainsi toute discussion sur l’intégration européenne de l’Arménie.
Cette stratégie a parfaitement fonctionné : au lieu de s’interroger sur les véritables raisons du brusque rapprochement avec la Turquie et ses implications géopolitiques, une partie de la diaspora s’est concentrée uniquement sur la question du génocide et sur la légitimité du dialogue avec Ankara. Pendant ce temps, les négociations entre Erevan et Bruxelles perdaient en visibilité et en soutien.
2013 : Un virage imposé par la Russie
Quatre ans plus tard, alors que l’Arménie s’apprête à finaliser son Accord d’Association avec l’UE, Moscou revient à la charge avec des pressions encore plus directes. Le 3 septembre 2013, Serge Sarkissian annonce brusquement que l’Arménie renonce à son engagement envers l’UE pour intégrer l’Union économique eurasiatique (UEE), une organisation dirigée par la Russie.
Les leviers utilisés par Moscou pour forcer cette décision sont multiples :
• Pressions énergétiques : menaces de hausse des prix du gaz pour l’Arménie.
• Menaces sécuritaires : instrumentalisation du conflit du Haut-Karabakh pour instiller la peur d’une escalade militaire en cas de rapprochement avec l’Europe.
• Chantage économique : restrictions sur les travailleurs arméniens en Russie et sur les exportations arméniennes.
Ce revirement brutal montre que la Russie ne se contente pas d’exercer une influence en Arménie même, mais qu’elle s’appuie également sur ses relais en diaspora pour manipuler l’opinion et contrôler les débats.
2014-2015 : L’adhésion à l’UEE et la consolidation de l’influence russe
En janvier 2015, l’Arménie devient officiellement membre de l’UEE, scellant son ancrage dans la sphère d’influence russe. Pourtant, même après cette intégration, Moscou continue d’empêcher tout rapprochement trop poussé avec l’UE. Chaque tentative d’ouverture vers Bruxelles est immédiatement contrebalancée par des rappels à l’ordre de la Russie, parfois par des déclarations officielles, parfois par des campagnes de désinformation ou des pressions économiques.
2017 : L’Accord de partenariat avec l’UE, un équilibre fragile
Malgré l’adhésion à l’UEE, l’Arménie parvient à signer en 2017 un Accord de partenariat global et renforcé (CEPA) avec l’UE. Ce texte, bien que plus limité que l’Accord d’Association initial, permet néanmoins à Erevan de maintenir un lien avec Bruxelles.
Toutefois, la Russie ne relâche pas son emprise. Chaque avancée vers l’UE est freinée par des représailles économiques et par des campagnes menées par des groupes pro-russes en Arménie comme en diaspora.
2020-2025 : Un contrôle renforcé après la guerre du Haut-Karabakh
Après la défaite de 2020 au Haut-Karabakh, l’Arménie se retrouve encore plus vulnérable face à la Russie. Moscou en profite pour renforcer son influence en se présentant comme le garant du cessez-le-feu, tout en veillant à maintenir l’Arménie dans une situation de dépendance stratégique.
Dans la diaspora, cette stratégie se poursuit par des campagnes visant à discréditer les nouvelles initiatives pro-européennes d’Erevan. De la même manière qu’en 2009 avec les manifestations autour du génocide, des groupes liés aux anciens réseaux pro-Kocharyan ou Serzh sont réactivés pour détourner les débats et empêcher une prise de conscience collective sur la nécessité d’un véritable basculement vers l’Europe.
Conclusion : Un schéma répétitif pour maintenir l’Arménie sous contrôle
Depuis 2009, la Russie utilise les mêmes mécanismes pour empêcher le rapprochement de l’Arménie avec l’UE :
• Diversion médiatique et émotionnelle : instrumentalisation d’autres débats (comme la question du génocide en 2009) pour détourner l’attention de l’enjeu européen.
• Utilisation des proxys en diaspora : manipulation de groupes pro-russes pour organiser des manifestations ou opinions et façonner l’opinion publique.
• Pressions économiques et énergétiques : menace de coupures d’approvisionnement et chantage sur les travailleurs arméniens en Russie.
• Exploitation du conflit du Haut-Karabakh : maintien d’une instabilité sécuritaire pour justifier l’influence russe.
Ce schéma se répète encore aujourd’hui, et il appartient aux forces démocratiques arméniennes de dénoncer ces manipulations et de tracer une voie claire vers une véritable indépendance géopolitique et un rapprochement effectif avec l’Europe.
Tout en notant que l’ouverture d’un sujet comme le génocide est initiée par le Premier ministre, ce qui alimente le discours des groupes pro-russes, dans quel objectif ?
Comme l’a dit George Orwell : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé. »
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Premier outil de communication participatif pan-arménien: « Les Arméniennes & Arméniennes ».
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samedi 22 février 2025
Arménie-UE : Une lutte de quinze ans contre l’ingérence russe et ses relais en diaspora Quel avenir pour l’Arménie ? Un réel changement ou un statu quo ? Par Raffy Depuis 2009, la Russie et ses alliés ont régulièrement déployé des stratégies pour freiner les ambitions de l’Arménie de se rapprocher de l’Union européenne. En dépit des efforts soutenus d’Erevan pour diversifier ses relations internationales et s’engager sur la voie de l’intégration européenne, les pressions de Moscou sont restées constantes, utilisant des leviers économiques, géopolitiques et sécuritaires pour neutraliser ce rapprochement. 2009 : Diversion et manipulation en diaspora pour torpiller l’accord avec l’UE L’année 2009 marque le début du Partenariat oriental, un programme de l’Union européenne visant à renforcer les liens avec plusieurs anciennes républiques soviétiques, dont l’Arménie. Erevan engage alors des négociations pour un Accord d’Association avec l’UE, incluant un Accord de Libre-Échange Approfondi et Complet (ALEAC), qui devait offrir au pays des opportunités économiques et une ouverture vers l’Europe. Cependant, pour éviter que l’Arménie ne s’éloigne de son orbite, Moscou et ses relais ont mis en place une stratégie de diversion. Serzh Sarkissian, alors président, met en scène un rapprochement diplomatique avec la Turquie à travers les Accords de Zurich. Ces accords, signés en octobre 2009, visaient officiellement à normaliser les relations entre Erevan et Ankara. Mais en réalité, cette initiative avait un double objectif : 1. Créer un choc dans la diaspora arménienne en utilisant la question du génocide comme un levier émotionnel pour détourner l’attention du véritable enjeu, à savoir l’accord de libre-échange avec l’UE. 2. Mobiliser les groupes pro-russes en diaspora pour orchestrer une campagne de protestation massive, faisant passer Serzh Sarkissian pour un chef d’État sous pression, alors que cette manœuvre avait été planifiée en accord avec Moscou. Dès octobre 2009, des manifestations éclatent à Paris et dans plusieurs capitales occidentales, orchestrées par des groupes proches du pouvoir arménien et liés à des réseaux pro-russes en diaspora. Ces groupes, loin d’être spontanés, avaient pour mission de focaliser la colère de la diaspora sur le rapprochement arméno-turc, occultant ainsi toute discussion sur l’intégration européenne de l’Arménie. Cette stratégie a parfaitement fonctionné : au lieu de s’interroger sur les véritables raisons du brusque rapprochement avec la Turquie et ses implications géopolitiques, une partie de la diaspora s’est concentrée uniquement sur la question du génocide et sur la légitimité du dialogue avec Ankara. Pendant ce temps, les négociations entre Erevan et Bruxelles perdaient en visibilité et en soutien. 2013 : Un virage imposé par la Russie Quatre ans plus tard, alors que l’Arménie s’apprête à finaliser son Accord d’Association avec l’UE, Moscou revient à la charge avec des pressions encore plus directes. Le 3 septembre 2013, Serge Sarkissian annonce brusquement que l’Arménie renonce à son engagement envers l’UE pour intégrer l’Union économique eurasiatique (UEE), une organisation dirigée par la Russie. Les leviers utilisés par Moscou pour forcer cette décision sont multiples : • Pressions énergétiques : menaces de hausse des prix du gaz pour l’Arménie. • Menaces sécuritaires : instrumentalisation du conflit du Haut-Karabakh pour instiller la peur d’une escalade militaire en cas de rapprochement avec l’Europe. • Chantage économique : restrictions sur les travailleurs arméniens en Russie et sur les exportations arméniennes. Ce revirement brutal montre que la Russie ne se contente pas d’exercer une influence en Arménie même, mais qu’elle s’appuie également sur ses relais en diaspora pour manipuler l’opinion et contrôler les débats. 2014-2015 : L’adhésion à l’UEE et la consolidation de l’influence russe En janvier 2015, l’Arménie devient officiellement membre de l’UEE, scellant son ancrage dans la sphère d’influence russe. Pourtant, même après cette intégration, Moscou continue d’empêcher tout rapprochement trop poussé avec l’UE. Chaque tentative d’ouverture vers Bruxelles est immédiatement contrebalancée par des rappels à l’ordre de la Russie, parfois par des déclarations officielles, parfois par des campagnes de désinformation ou des pressions économiques. 2017 : L’Accord de partenariat avec l’UE, un équilibre fragile Malgré l’adhésion à l’UEE, l’Arménie parvient à signer en 2017 un Accord de partenariat global et renforcé (CEPA) avec l’UE. Ce texte, bien que plus limité que l’Accord d’Association initial, permet néanmoins à Erevan de maintenir un lien avec Bruxelles. Toutefois, la Russie ne relâche pas son emprise. Chaque avancée vers l’UE est freinée par des représailles économiques et par des campagnes menées par des groupes pro-russes en Arménie comme en diaspora. 2020-2025 : Un contrôle renforcé après la guerre du Haut-Karabakh Après la défaite de 2020 au Haut-Karabakh, l’Arménie se retrouve encore plus vulnérable face à la Russie. Moscou en profite pour renforcer son influence en se présentant comme le garant du cessez-le-feu, tout en veillant à maintenir l’Arménie dans une situation de dépendance stratégique. Dans la diaspora, cette stratégie se poursuit par des campagnes visant à discréditer les nouvelles initiatives pro-européennes d’Erevan. De la même manière qu’en 2009 avec les manifestations autour du génocide, des groupes liés aux anciens réseaux pro-Kocharyan ou Serzh sont réactivés pour détourner les débats et empêcher une prise de conscience collective sur la nécessité d’un véritable basculement vers l’Europe. Conclusion : Un schéma répétitif pour maintenir l’Arménie sous contrôle Depuis 2009, la Russie utilise les mêmes mécanismes pour empêcher le rapprochement de l’Arménie avec l’UE : • Diversion médiatique et émotionnelle : instrumentalisation d’autres débats (comme la question du génocide en 2009) pour détourner l’attention de l’enjeu européen. • Utilisation des proxys en diaspora : manipulation de groupes pro-russes pour organiser des manifestations ou opinions et façonner l’opinion publique. • Pressions économiques et énergétiques : menace de coupures d’approvisionnement et chantage sur les travailleurs arméniens en Russie. • Exploitation du conflit du Haut-Karabakh : maintien d’une instabilité sécuritaire pour justifier l’influence russe. Ce schéma se répète encore aujourd’hui, et il appartient aux forces démocratiques arméniennes de dénoncer ces manipulations et de tracer une voie claire vers une véritable indépendance géopolitique et un rapprochement effectif avec l’Europe. Tout en notant que l’ouverture d’un sujet comme le génocide est initiée par le Premier ministre, ce qui alimente le discours des groupes pro-russes, dans quel objectif ? Comme l’a dit George Orwell : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé. »
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